Pendant des années, la filière de la musique live était constituée d’une multitude d’acteurs rassemblés autour des artistes (producteurs de spectacles, salles de concerts, festivals, labels discographiques, médias, …) de tailles et de formes économiques très variables, sans négliger le poids croissant des politiques publiques en faveur de lieux de diffusion ou de festivals façonnant ainsi un modèle français unique en son genre.
Si la logique économique a toujours été présente dans nos métiers, elle ne constitue qu’un environnement dans lequel nous évoluons, mais en aucun cas une finalité. Nous considérons que nous devons soutenir la créativité et l’innovation musicales, présenter des artistes à un public, et non des produits à des consommateurs.
La filière professionnelle dont l’activité consiste à organiser et/ou produire des concerts de « musiques actuelles » est en pleine mutation. D’abord, cette mutation à l’oeuvre est caractérisée par l’arrivée de nouveaux acteurs financiers (multinationales) sur ce marché considéré comme lucratif, relevant clairement, selon eux, du business du divertissement (de l’entertainment) et d’enjeux de stratégie commerciale à grande échelle. Après l’Amérique du Nord, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Belgique…, l’arrivée de multinationales de l’entertainment sur le territoire français est effective depuis quelques années. Aujourd’hui, elles investissent lourdement sur l’ensemble des métiers de la filière afin de prendre très rapidement de fortes parts de marché. Elles rachètent des entreprises ou coproduisent avec des acteurs français (production de spectacles, salles de concerts, festivals, vente de billetterie…). Ensuite, la crise du disque de ces dernières années est indubitablement un facteur important et déclenchant de cette transformation, puisqu’elle induit de nouveaux positionnements, plus directs, de la part de majors du disque sur le secteur de la musique live.
Enfin, nous assistons dernièrement à des rapprochements, partenariats, fusions, absorptions, diversifications entre acteurs de la musique live, dans le but de constituer des entités économiques importantes, des « blocs » de taille critique pour « s’en sortir » dans la jungle promise … demain. Nous sommes donc aujourd’hui confrontés au risque majeur d’une concentration économique, d’une mainmise de quelques-uns sur l’ensemble de la filière, qui permet insidieusement de fixer de nouvelles règles du jeu selon une logique économique et financière, ayant pour finalité le versement de dividendes à des actionnaires. Cela peut provoquer, à moyen terme, la disparition ou l’absorption de nombreux acteurs de la filière, une standardisation des « produits artistiques et culturels ». En bref, cela nous apparaît comme un danger pour la diversité culturelle, pour cette pluralité d’initiatives et de projets qui a fait du secteur musical français un des plus développés à l’échelle européenne.
Nous souhaitons, au-delà d’en appeler aux collectivités publiques et à nos instances professionnelles en vue de réguler ces évolutions, sensibiliser les artistes et les publics aux enjeux fondamentaux qui bouleversent nos activités. Il nous semble important que chaque citoyen dispose d’éléments de compréhension afin qu’il sache faire la différence entre « être considéré comme un spectateur citoyen » et « être considéré comme un consommateur de produits culturels » pour agir en connaissance de cause. De même, les artistes ont leur rôle à jouer dans ces questions. Ils doivent prendre toute leur place dans ces débats et ne pas se méprendre sur les valeurs et le modèle économique qu’ils servent par leur travail.